alias Gelucourt puis Vergaville et enfin Honoré,
né le 16 mars 1913 à Montilly sur Noireau dans l'Orne,
fusillé le 31 juillet 1944 à Souge près de Bordeaux
Robert Ducasse est le fils aîné d'une fratrie de 6 enfants, son père, Raymond, pasteur de la Religion Réformée est un homme érudit et polyglotte. En 1919, il est nommé à la paroisse de Dieuze, poste qu'il occupera de longues années. C'est à Dieuze que naissent les cinq autres enfants du couple.
Les parents Ducasse participent aux mouvements pacifistes qui se développent dans la région. Leur foyer est ouvert aux persécutés politiques et raciaux des pays voisins. Ces valeurs vont avoir une grande influence sur le comportement ultérieur du jeune Robert.
Raymond Ducasse, le Pasteur, expulsé avec toute sa famille dans le sud de la France s'est lui-même engagé dans le sauvetage des juifs persécutés par les Nazis malgré les risques encourus et surtout ceux qu'ils faisaient encourir à sa famille.
Ce qui lui a valu la distinction suprême qu'un JUSTE peut recevoir : Le premier juin 1993, l'Etat d'Israël décernait, à titre posthume, le titre de Juste au Pasteur Raymond Eugène Ducasse, qui au péril de sa vie a sauvé des juifs persécutés pendant la période de la Shoa eu Europe. Son nom sera honoré, à tout jamais gravé sur le mur des justes des nations au mémorial YAD VASHEM à Jérusalem.
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Au moment de la préparation au baccalauréat, Robert est envoyé au Lycée à Nîmes, il s'agit pour lui d'apprendre et de s'imprégner de l'histoire du protestantisme cévenol et de l'esprit camisard.
Il poursuit ensuite ses études à Paris, se présente à l'Ecole Centrale en 1936 et à l'Institut d'Optique en 1937 dont il sort ingénieur en 1938.
C'est à cette époque qu'il se lie d'amitié avec Lucie Aubrac "une amazone agrégée d'histoire" comme le dit Emmanuel d'Astier et avec son mari Raymond Semuel, ingénieur des Ponts et Chaussées. Ces liens seront décisifs dans sa trop courte existence.
Le milieu étudiant parisien est confronté à l'actualité nationale et internationale, prélude à la seconde guerre mondiale. En effet, la société française est agitée par les ligues fascistes qui combattent le Front Populaire, élu en 1936. Au Quartier Latin arrivent de nombreux étudiants fuyant l'Allemagne, l'Italie et les pays d'Europe centrale où sévissent le fascisme et le racisme. Les étudiants français apprennent la réalité des régimes totalitaires, c'est le cas également pour Robert.
Celui-ci n'est pas seulement un brillant ingénieur et un témoin engagé mais c'est un garçon athlétique, excellent sportif, toujours disposé à entraîner ses camarades sur les pistes des ski, à la pratique du canoë-kayak dans les torrents ou à celle de la voile en mer.
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Robert est appelé sous les drapeaux et accomplit son service militaire dans la marine à Toulon, lorsque débute la "drôle de guerre" en 1939. Officier d'artillerie navale, il est affecté à la défense côtière à l'Ile du Levant.
Quand l'Armistice est prononcé, comme tous les officiers, il est mis en congé sous le contrôle de l'armée d'Armistice. Ce qui lui permet de reprendre contact avec ceux qui refusent l'occupation du pays par les armées allemandes. Très rapidement, il est le maillon d'une chaîne de refuge, de protection et d'évasion des juifs et des militants politiques menacés.
A la demande de son réseau d'amis pour lesquels il est toujours resté Kari le copain des années d'études, il sollicite une affectation à proximité du gouvernement de Vichy et rejoint le Ministère de l'Information de Pétain. Pendant pratiquement deux ans, il est "les yeux et les oreilles des réseaux de Résistance de la France Libre et de la Résistance Intérieure" à Vichy.
1942 : Premier tournant important : le débarquement allié en Afrique, le sabotage de la flotte française à Toulon, l'occupation totale de la France par les armées allemandes, libèrent Robert Ducasse de ses contraintes militaires. Commence alors, une période particulière ; pour empêcher les troupes d'occupation de réquisitionner les armes détenues dans les casernes de la zone précédemment libre, les Cadres de la Résistance décident de s'en emparer immédiatement. Le général Frère, ancien gouverneur de Strasbourg, patriote convaincu, accepte d'apporter son soutien à cette opération, en facilitant les contacts avec les commandants de certaines casernes. Le général Bridoux, promu chef de l'armée par Pétain envoie à tous les officiers des ordres terribles : "sous peine de mort, vous déclarerez les dépôts que vous connaissez".
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Raymond Aubrac, officier de génie, Robert Ducasse, officier
du marine se présentent avec leur nom et leur qualité d'officiers devant
ces commandants pour essayer de faire sortir et récupérer ces armes tant
convoitées.
Pour un officier, même convaincu, préparer et stocker des armes est une chose, mais les livrer pour une "guérilla" en est un autre. Certains se laissent convaincre, d'autres refusent ce qu'ils considèrent comme étant un acte de désobéissance. Très rapidement, Robert devient un élément de premier plan dans la lutte contre l'occupation et devient, à l'Armée secrète de Libération, l'adjoint de Raymond Aubrac. A ce moment il prend le pseudonyme de Vergaville. Le 27 novembre 1942, une première réunion du comité de coordination a lieu chez Martin-Chauffier à Lyon, avec Jean Moulin représentant de Général de Gaulle, le Général Dalestraint, chef de l'Armée secrète, Emmanuel d'Astier (mouvement Libération), Jean-Pierre Lévy (Franc Tireur), Henry Fresnay (Combat), les Aubrac, et par eux, Ducasse qui étaient liés au mouvement Libération, crée à Pâques 1941 à Clermont-Ferrant par d'Astier et Jean Cavaillès. Coïncidence, le même jour la Wermacht occupe les casernes, les entrepôts de l'armée d'armistice, le 1er corps blindé SS occupe Toulon, tandis que les navires de la flotte se sabordent.
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Début 1943, la mise en application des décrets
du Service du Travail Obligatoire a pour conséquences l'arrivée massive
de jeunes dans les maquis de l'Ain, du Jura, de Savoie... ; jeunes qui
refusent de partir travailler en Allemagne. Vergaville est chargé, aidé
d'autres résistants, de leur préparer des "planques". Au cours
d'une de ces investigations un agent de liaison commet une imprudence qui
entraîne l'arrestation, par la police française, des responsables de
l'Armée Secrète, de Combat et de Libération. Raymond Aubrac se retrouve
en prison et tout naturellement Vergaville le remplace à la direction de
l'Armée Secrète.
Grâce à la tenacité de Jean Moulin, l'union des grands mouvements de résistance de zone sud est réalisée sous le nom de Mouvements Unis de la Résistance. Ainsi, au printemps 1943, Vergaville est désigné chef de l'Armée Secrète de Libération des Mouvements Unis de la Résistance pour la région Rhône-Alpes. Enorme responsabilité pour ce jeune homme de trente ans. Rapidement Vergaville adopte une règle importante : unir sous la même direction, le même commandement les recrues de l'Armée Secrète, les réfugiés dans les maquis et les résistants déjà engagés à l'intérieur des groupes francs et dans l'action immédiate. Lors de sa venue dans la région, le Délégué Militaire Régional, Maurice Bourges-Maunoury, trouve, sous le contrôle de Vergaville une région parfaitement organisée, y compris l'entraînement militaire qui s'effectue par petits groupes dans le travail et l'action.
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Diplôme d'honneur |
Le 19 octobre 1943, Vergaville ainsi que ceux qui
participent à une réunion, sont arrêtés après avoir été dénoncés,
seul Ravanel le chef des Groupes Francs peut s'échapper. Ils sont
conduits à la prison Monluc à Lyon où se trouvent déjà de nombreux
résistants dont Raymond Aubrac à Caluire en même temps que Jean Moulin.
La décision est prise par les Groupes Francs de Lyon de profiter du transfert des prisonniers dans les locaux de la Gestapo à l'Ecole de Santé Militaire pour attaquer le fourgon cellulaire et libérer les détenus. L'attaque menée le 21 octobre réussit, les allemands sont tués et les résistants libérés dont Raymond Aubrac. Mais parmi eux il n'y a ni Vergaville ni les autres arrêtés le 19 octobre. Ils se trouvaient dans un second véhicule, ce que les membres du commando ignoraient. Après Monluc, Vergaville est conduit à la Santé puis à Fresnes avant d'être embarqué pour les camps de concentration. Il n'est pas homme à s'avouer vaincu et réussi à s'évader, gare de l'Est du train qui doit l'emmener en Allemagne et se cacher chez une de ses soeurs. En mars, il prend contact avec Kriegel-Valrimont. La région Rhône-Alpes lui étant définitivement interdite, Vergaville est envoyé à Bordeaux où la Résistance est décapitée et détruite après la trahison de Grandclément. C'est un poste très dangereux qui lui est confié, mais il n'hésite pas et l'accepte. C'est un homme neuf, sous le nom d'Honoré, qui prend en charge la reconstitution d'une armée clandestine dans cette région.
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Mars 1944, il n'y a plus rien dans ce secteur,
le préfet de Vichy et le chef de la Gestapo se félicitent d'avoir
réduit la Résistance à néant.
Dans cette région qui va des Pyrénées à l'embouchure de la Loire, la surveillance allemande rend particulièrement dangereux le travail clandestin, pourtant à partir de fin mai les sabotages des voies ferrées et des lignes électriques recommencent : Honoré a réussi la reconstitution des Groupes Francs, du Maquis et de l'Armée Secrète. Après le débarquement du 6 juin 1944, Honoré peut assurer l'Etat Major FFI et Allié de la possibilité de retarder la remontée des troupes allemandes en direction de la Normandie avec le groupe qu'il contrôle. Le préfet régional de Bordeaux, Sabatier, est sur des charbons ardents, il donne aux gendarmes des consignes d'extrême vigilance. Le 21 juin 1944-encore un anniversaire-un an jour pour jour après l'arrestation de Jean Moulin à Lyon, Honoré est arrêté. Ce jour, avec trois de ses camarades il prépare un sabotage particulièrement délicat et c'est par hasard qu'ils tombent sur un groupe de gendarmes français. Il y a eu trois semaines que les troupes alliées ont débarqué, Honoré pense que ces hommes en uniforme sont des patriotes comme le sont ses camarades et lui même et se présente à eux en tant que responsable de la Résistance pour l'Aquitaine : "Je suis officier de marine, mon nom est Robert Ducasse, je suis le chef de la Résistance pour la région, libérez-nous et rejoignez nos rangs". Mais cet officier de gendarmerie, le lieutenant Olivier appelle la police de répression de la brigade Poinsot de Bordeaux. Honoré et ses amis sont livrés aux Allemands. |
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Ainsi Robert Ducasse, citoyen courageux, patriote
intransigeant, est la victime des services d'une préfecture dévouée à
la collaboration jusqu'à la dernière minute.
Le même soir ils sont enfermés au fort de Hâ. C'est un endroit où il n'est pas question de procès mais d'obtenir des renseignements sous la torture. Séances qui se terminent par la mort. Le 29 juillet 1944, 48 hommes sont conduits au poteau d'exécution. Honoré et ses deux adjoints Jacques Froment et René Pezat font partie du groupe. La peloton se fait attendre deux journées. Deux jours de sursis mais surtout d'angoisse. Le 1er août, les soldats allemands arrivent avec deux prisonniers supplémentaires. Ils sont 50 fusillés et laissés sur place à Sourges. Puis enterrés sommairement. 50 corps sont ensevelis, deux anonymes et 48 répertoriés sur une liste nominative. Après la libération de la région, quand les autorités françaises exhument les corps de ces résistants assassinés en s'appuyant sur la liste des 48 noms affichés par les Allemands. Honoré n'est pas l'un des 48. |
Photo d'identité |
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Ainsi Robert Ducasse, alias Vergaville de la
région Rhône-Alpes, Honoré de la région de Bordeaux, si actif dans la
Résistance, suprême modestie, a disparu à tout jamais sous sa forme
physique.
Eloge de Kriegel-Valrimont (avril 1945) : A Lyon, capitale de la Résistance en zone sud, la belle figure de protestant, les cheveux en brosse, une carrure d'athlète, Vergaville, qui faisait ses promenades nocturnes dans les caves des prisons lyonnaises, quand ses amis s'y trouvaient. L'organisateur le plus remarquable de l'action de sabotage contre l'ennemi. Ils l'avaient pris une fois ; il s'est évadé, après, il était allé à l'endroit le plus dangereux ; ils l'ont assassiné.
Le 21 octobre 1984, 40ème anniversaire de la Libération, un hommage particulier est rendu à Robert Ducasse, au Val d'Enfer dans l'Ain et c'est une tombe fictive qui est inaugurée en présence de sa famille alors qui Lucie Aubrac retrace l'historique de cette épopée glorieuse.
"Tous ses camarades, tous ceux qu'il a commandés se souviennent d'un homme qui n'a jamais vieilli, dont la vie s'est arrêtée à 31 ans. Un homme qui reste à tout jamais ce grand, beau garçon au doux sourire, à l'ironie si chaleureuse, à l'ardeur su communicative, modèle de dirigeant toujours exemplaire, toujours obéi et respecté. Alors, aujourd'hui, je sais que je suis l'interprète de tous pour dire à sa famille ici présente combien toute la Résistance la remercie de nous avoir donné leur Robert Ducasse pour qu'il devienne notre camarade Vergabille".
POUR MEMOIRE, la moyenne d'âge des fusillés du 1er août 1944 à Souge était de 21 ans. |